Mauvaise surprise en perspective

Publié le par Nassim Guessous

L’occident doit s’attendre à une sévère déconvenue dans la poursuite du processus démocratique dans les pays où c’est déroulé le printemps arabe. Certes, le principe démocratique en soit n’est pas remis en cause directement. Cependant ce type de « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » va connaître une mise en place radicalement différente de ce qu’elle est en occident. Effectivement, il y a fort à parier que les positions extrémistes s’exprimeront avec plus de force que les positions modérées. Peut-être pas jusqu’à la victoire totale, mais le fait est que leur représentation surprendra, étonnera, choquera en occident. Pourquoi ?

 

Premièrement, parce que sous Benali, par exemple, les islamistes n’avaient pas voix au chapitre. Dès lors, le simple fait de les voir disposer d’un groupe politique éligible à une élection démocratique, et de participer au débat, c'est-à-dire de rendre publique leurs idées en vue de les populariser, est une nouveauté. Ensuite, parce que sociologiquement le terrain leur est favorable. Pauvreté, manque d’éducation (au sens d’ouverture d’esprit), conflit israélo-palestiniens, etc., sont autant de raisons ou thématiques qui donnent un avantage aux islamistes comparativement aux partis, groupes, rassemblements politiques plus modérés sur le plan religieux.

 

Enfin, il semble que la démocratie soit un régime politique inadapté aux contextes où dominent les élans passionnels. Une crise économique sévère aggravée par un phénomène d’hyperinflation en Allemagne a porté Hitler au pouvoir, une transition économique douloureuse pour certains comme celle qui touche la classe, le groupe (aucun de ces mots ne semble aujourd’hui approprié, d’ailleurs) ouvrier qui a hissé Le Pen au second tour en 2002, les antagonismes régionaux qui paralysent la Belgique, sont autant d’exemple de dérives de la démocratie en raison de dispositions psychologiques particulières d’un peuple à un instant t. Que dire, alors, du peuple tunisien qui vient d’acquérir au prix du sang un nouvel espace de liberté ?

 

Va-t-il être capable de se défaire de la tension extrême qui l’anime depuis plusieurs mois, afin d’opter pour une option politique modérée, ou va-t-il profiter d’une occasion historique d’exprimer fortement un message forgé au cours d’années de frustrations idéologiques, sur fond d’atlantisme benaliste et de Terreur institutionnalisée ayant pour cible une menace islamico-terroriste quasi fantasmée et, de fait, directement provoquée ?

 

Il serait temps que l’occident comprenne que sa démocratie n’a, jusqu’à lors, vécue que dans des pays développés et pacifiés. Les élections libres de 1990 en Algérie qui ont abouties à la victoire des islamistes, non reconnue par le pouvoir en place soutenue par les Occidentaux, a débouché sur des années de guerre civile. Les premières élections libres organisées dans la bande de Gaza ont donné la possibilité au Hamas de se targuer d’une nouvelle légitimité, au grand dam de l’univers occidental. La Tunisie ne connaîtra sûrement pas de gouvernement islamiste. Néanmoins le monde démocratique doit s’attendre  à voir émerger une force islamiste capable de jouer un rôle d’arbitre dans la prise de décision ou la formation d’une coalition gouvernementale. Reste à être pragmatique, et à faire en sorte que cette normalisation de la condition institutionnelle de tels mouvements pose les jalons d’un processus de modération de l’offre politique qui d’eux émane.

 

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