"On a peur, on s'imagine avoir peur. La peur est une fantasmagorie du démon" Georges Bernanos

Publié le par Nassim Guessous

C’est la crise et nous avons tous peur. C’est le président qui le dit et il en sait quelque chose, puisque c’est le fond de commerce de tout politique qui se respecte. En effet, si vous êtes un politique de droite, il vous est conseillé pour vous faire élire de mettre en exergue les peurs suivantes : peur du changement, peur de l’étranger, peur des pauvres, peur de voir le niveau de rentabilité des investisseurs institutionnels dégradé, peur de Marine, peur de Staline, peur qu’à force de jouer sur la peur vous n’en perdiez le contrôle au profit de l’extrême droite. Si vous êtes de gauche, vous devez faire croire que vous faîtes peur aux traders, peur  aux réseaux, vous avez peur de la droite, peur des ouvriers (qui souffrent d’une peur de droite), peur de votre famille politique, peur des verts. Si vous êtes écolo, vous vous efforcerez d’instiller la peur des OGM, du nucléaire, des énergies carbones,  vous aurez peur d’Eva Joly mais aussi de la droite, peur de gagner un jour les élections parce que vous savez alors que vous rencontriez de légères difficultés à vous montrer pragmatique. Si vous êtes d’extrême gauche, vous n’avez peur que d’une chose : vous avez peur de voir la vérité en face. Si vous êtes centriste, vous n’avez peur de rien puisque de toute façon vous n’existez déjà plus. Enfin, si vous êtes d’extrême droite, vous avez peur de deux choses : de Nicolas Sarkozy et consort, et de ne pas faire assez peur. Enfin, si vous êtes Dominique de Villepin, vous n’avez peur de rien.

 

Il apparaît alors que malgré les divergences idéologiques affichées, il existe bel et bien une ligne de convergence qui transcende tout politique qui se respecte. Effectivement, depuis la nuit des temps, la peur a toujours constitué la valeur refuge des dirigeants. Le système féodal l’a d’ailleurs mise au cœur de la vie politique : le suzerain protège son vassal qui s’incline devant le clergé par crainte devant la puissance divine qu’il incarne. Au moins le système était-il transparent. Aujourd’hui, il n’est plus question de transparence : nous vivons dans une démocratie républicaine qui, a priori, ne tire pas son droit à l’exercice de la violence légitime de craintes métaphysiques, mais bel et bien d’un consensus rationnel cristallisé en ce merveilleux moment d’expression libre qu’est le vote. Que nenni ! Tout cela n’est que poudre aux yeux pour scouts républicains…

 

                La Vème république telle que nous la connaissons aujourd’hui ne sera pas de si tôt le théâtre d’une élection libre de toute peur irrationnelle. Il est vrai que le contexte global de perte de souveraineté national, que beaucoup n’avaient pas anticipée, symbolisée par la soumission au capitaux anonymes et apatrides, par ce qui dans l’actualité s’apparente à un diktat allemand, etc., a de quoi rendre paranoïaque : qui est l’ennemi ? Est-il parmi nous ? A quoi ressemble-t-il ? Le souci, c’est qu’à l’heure même où une solidarité de fait devrait s’opérer au sein de la société pacifié dans laquelle nous évoluons et que nous chérissons au vu des bouleversements dans le monde arabe (pas de ça chez nous !), nos dirigeants s’ingénient à faire verser même les moins naïfs d’entre nous dans la crainte, le désespoir et les passions insensées.

 

                Prenons deux exemples. Deux hommes politiques de premier ordre, parfaitement dans l’air du temps : Arnaud Montebourg et Claude Guéant. Le premier livre un diagnostic intéressant sur l’évolution du rapport de force en Europe, mais il ne peut s’empêcher de vouloir agiter l’épouvantail prussien, objet des fantasmes les plus fous (il est vrai que le couple franco-allemand qui existe depuis les années 1950 est une bizarrerie à l’échelle de l’histoire des deux pays). Le second est en charge de mener une politique ingrate mais nécessaire, qu’il conduit sans tact et de manière  inefficace ; pourtant il est toujours en place car on retient plus de lui qu’il est à droite de la droite et qu’il le dit, plutôt que son rôle de ministre de l’intérieur (qui finalement n’est qu’une tribune). Mais qui, mais qu’est ce les fera taire ? Dans l’état actuel des choses, rien.

 

                Rien ne peut aujourd’hui supplanter l’instrumentalisation de la peur dans le discours politique. Les offres politiques sérieuses de droite et de gauche ne peuvent plus se différencier que par la désignation des thèmes qui font peur (de manière caricaturale, les immigrés pour la droite, et l’extrême droite pour la gauche, loin de ces anciens moulins cervantesques : le système capitalisme et ses suppôts). Le pragmatisme étant devenu l’offre politique minimale attendue par une France résignée, il existe une réelle convergence de fond entre la droite et la gauche. Tout le monde est d’accord pour augmenter les recettes de l’Etat. Une convergence existe quant à la faisabilité d’une taxation de certains flux financiers et des revenus du capital. Donc, pour faire le beau, on s’agite autour du vote des étrangers aux élections locales ou autour d’un viol commis par un récidiviste au fin fond de la campagne de France. Si la démocratie actuelle ne propose de clivage que sur la base d’une interprétation partisane des faits divers, je pense qu’elle a besoin d’un réel nouveau souffle.

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