L'ennemi est parmi nous

Publié le par Nassim Guessous

Le 14 juillet 1789, le peuple de Paris se soulevait contre le pouvoir royal absolu en attaquant un de ses symboles : la Bastille. Deux cents ans plus tard, le peuple de France se masse aux Champs-Elysées, se presse autour de sa télévision, pour admirer la République en pleine exhibition de ses muscles. N’est-il pas ironique de constater qu’un mouvement à l’origine révolutionnaire devienne un symbole de la solidité d’un régime et de la foi en ses valeurs ? Certes, l’insurrection populaire de la fin du 18ème à servit de fondement à « notre » République, mais il faut être aveugle pour ne pas remarquer que l’esprit de révolte qui animait nos ancêtres ne fait l’objet d’aucune commémoration.

 

Il est vrai qu’il serait paradoxale qu’elle le fît, dans la mesure où exciter la fibre révolutionnaire d’un peuple ne va pas dans le sens du maintient de l’ordre public. Mieux vaut endormir les masses avec une démonstration de force rassurante qui agit en contrepoint d’un sentiment d’insécurité propagé au sein du peuple par ceux là même qui nous dirigent.

 

En ce sens, l’afflux massif de nos concitoyens aux célébrations militaires du 14 juillet ne peut-être perçue que comme l’adhésion franche et inconditionnelle à un système politique qui récupère de manière éhontée un événement historique à des fins de légitimation de l’exercice de sa propre violence, l’armée ayant toujours été le bras armé du pouvoir. Le problème, c’est que jamais les sans culottes n’ont voulu que leur mouvement n’exprime autre chose que LEUR aspiration à la légitimité.

 

Or, qui étaient-ils ? Des fils du peuple, des opprimés, l’inconscient bras armé d’une bourgeoisie en quête de visibilité politique. Et que sont-ils devenus ? Les suppôts d’une bourgeoisie enfin politiquement légitimée, qui parade fièrement en riant au visage des masses endormies, héritières elles de la condition politique de la plèbe. En effet, aujourd’hui plus que jamais, le peuple ne désire que du pain et des jeux, du Mac Do et secret story. Il s’abrutit devant le spectacle ridicule d’une affaire de mœurs touchant un puissant, laissant dans le même temps infuser lentement le poison de la haine, de la xénophobie et de la peur, dans le bouillonnement médiatique entretenu par l’incurie coupable dont ils font preuve à l’égard du message de révolte, d’éveil de la conscience politique, d’ouverture d’esprit et d’engagement citoyen diffusé par d’anonymes révolutionnaires animés par l’esprit des Lumières.

 

Alors que nous venons de célébrer les 222 ans d’un soulèvement populaire qui a changé durablement et à l’échelle du monde le rapport de domination politique, jamais les masses « citoyennes » françaises n’ont été aussi endormies, au point de laisser le soin à des barbares, aux idées aussi larges que le goulot d’une bouteille de beaujolais, de récupérer à leur compte les idéaux républicains, et d’insidieusement les convaincre que ces idéaux sont mis en danger par un ennemi venu d’ailleurs, alors que chacun d’entre nous regarde chaque matin l’ennemi dans les yeux, lorsque son reflet apparaît sur le miroir de nos salles de bain.

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T
<br /> C'est rigoureusement exact, et cela l'a d'ailleurs toujours été, je suis bien d'accord ! Cependant deux points me dérangent.<br /> <br /> Tout d'abord, tu opposes le "peuple" d'un côté et ses dirigeants de l'autre, ce que je ne peux concevoir. Le peuple vote, et on pourra dire ce qu'on voudra des dirigeants, mais ils sont tous<br /> légitimes, et leur pouvoir leur a été décerné par le peuple. Coluche a bien failli être président...<br /> <br /> Seule la loi différencie les sans-culottes de bandits assoiffés de violence aveugle. Ils n'ont que peu fait la Révolution ; les moyens mis en oeuvre (fonds, capitaux, armes, compétences techniques<br /> pour permettre à l'armée de repousser l'ennemi aux frontières...) ont été pleinement donnés par la bourgeoisie. Les sans-culottes n'avaient aucune raison d'arriver au pouvoir, et heureusement pour<br /> tous ! On se souviendra des horribles massacres de septembre 1792, quand Marat autorisa le peuple à rendre justice lui-même, ce qui n'est pas sans rappeler les horreurs du régime soviétique dès la<br /> fin de la 1è guerre.<br /> <br /> Bref, le peuple veut du pain et des jeux, mais je n'y vois aucun inconvénient : Aristote lui-même signalait que le peuple veut juste qu'on lui foute la paix ; qu'il ne veut pas participer à la vie<br /> politique puisque ça l'emmerde profondément...<br /> <br /> En bref, l'avenir dès demain ? Non, demain c'est dimanche.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Le peuple et les dirigeants peuvent être pensé selon une dialectique gouverné/gouvernant. Le système démocratique garanti au peuple, à la population en règle générale, une certaine prise sur le<br /> pouvoir politique, mais les différences socilogiques fortes entre les dirigeants et les électeurs, la complexité de la vie politique (on le voit avec les différents scandales ou les problèmes<br /> économiques), et le désir de pouvoir qui réside en chacun de nous font que, certes, les élections légitiment les hommes politiques, mais elles sont surtout pour eux le moyen de s'accaparer<br /> certaines problématiques qu'ils ont la possibilité de gérer de manière discrétionnaire, aidés en cela par la complicité de citoyens (non votants pour 30 à 40% d'entre eux) qui s'aveuglent d'eux<br /> même. Là où l'attitude abstentionniste devient absurde, c'est qu'en période de crise même les non votants demandent des comptes à leurs dirigeants. Le peuple ne veut pas qu'on lui foute la paix,<br /> il ne veut pas voir ses problèmes en face et il laisse le bon soin à une caste, tantôt technocratique tantôt populiste, de nettoyer son linge sale sans que cela ne viennent interférer avec télé<br /> foot, les ch'tis à Ibiza et plus belle la vie.<br /> <br /> <br /> <br />