Camarades, défilons!

Publié le par Nassim Guessous

La politique, c’est un peu comme le football : il y a les joueurs locaux, les joueurs nationaux, les amateurs, les professionnels, les internationaux, ceux que la foule adule, ceux que la foule siffle, etc. De fait, percer en politique et percer en football sont deux processus similaires. On commence jeune dans une circonscription locale, on se fait repérer par un responsable régional qui nous propulse sur la scène nationale. Attention toutefois au laisser-aller et aux tacles assassins qui peuvent briser les espoirs placés en une carrière naissante.

 

Eva Joly représente bien cette similarité entre football et politique. Premièrement, c’est une femme et le football comme la politique se féminise. Deuxièmement, son profil atypique en fait un personnage politique intéressant mais ne lui donne aucune chance de percer au plus niveau. Enfin, comme tenu justement de son profil atypique, elle dérange, elle menace la stabilité d’un système de jeu fondé jusqu’à lors sur la dualité PS-UMP mais qui est chamboulé depuis quelques années par des centristes apathiques, une extrême droite agressive et maintenant des écolos qui prétendent à une place de titulaire et dont le porte étendard est, de surcroit, d’origine étrangère.

 

Toutefois, rappelons que, pour Socrate, l’étranger est un interlocuteur précieux, utile au débat, duquel on peut apprendre. C’est ce que montre Platon dans Le Politique. Pour la droite française, l’étranger est une épine dans le pied dont les propos ne méritent pas que l’on s’y attarde. En effet, à quoi bon se nourrir  des idées d’autrui lorsque l’on a à notre disposition la meilleure gastronomie du monde ? Je voudrais juste rappeler qu’il y a autant de points communs entre une fricadelle et un cassoulet qu’entre Fillon (aka « cette femme n’a pas une culture ancienne des valeurs françaises ») et Joly : ils sont français.

 

Bien que l’un ait été nourri à la rillette et l’autre au kjottboller, il n’en demeure pas moins que madame Joly tout comme notre cher premier ministre ont tous deux tété les mêmes mamelles, celles de la république. Effectivement, alors qu’Eva traquait les voyous en cols blancs lors des grands procès de la république des années 1990, François gagnait ses galons de triste sire blafard, antipathique, défaitiste et à l’esprit aussi ouvert qu’un coffre fort au pays des 24 heures.

 

Cette étroitesse d’esprit est surprenante, surtout lorsque l’on sait que la Sarthe est un des départements les plus cosmopolites de France. C’est un véritable carrefour culturel dans lequel on croise, entre autre populations exotiques, des Ornais, des Mayennais, un peu de Parisiens et un soupçon de Bretons. Entendre François Fillon attaquer Eva Joly sur ses origines m’a donc surpris.

 

Plus encore, j’ai été choqué d’apprendre que la connaissance qu’avait la belle blonde de l’histoire française était lacunaire. Moi qui croyais que pour être juge, qui plus est un juge d’envergure nationale, il fallait réussir un des concours les plus difficiles de la République, moi qui croyais que la connaissance du droit était indissociable de la connaissance de l’histoire, moi qui naïvement pensais que l’histoire du 14 Juillet était connue par tous, même par « cette femme », je suis littéralement tombé des nues en apprenant qu’il n’en était rien.

 

M’aurait-on menti ? La république libertaire, égalitaire, fraternelle ne le serait que pour les pensionnaires élyséens hongro-italien ? Le 14 juillet 1789 n’aurait pas été le premier soulèvement citoyen de l’histoire de France ? La qualité de français n’exercerait pas ses effets de la même manière sur tous ceux qui la possèdent ? Les juges n’iraient pas à l’école ?

 

A vrai dire, apprendre que monsieur Fillon pouvait ressentir des émotions, même des émotions négatives comme la colère, m’a soulagé. Il n’est donc pas un simple robot au service d’une cause qui le dépasse (contrairement d’ailleurs à celui qui porte cette cause). Il n’est pas ce gros Saint-Bernard effacé maintenu en vie par la carotte du pouvoir. Non, c’est un homme qui dispose de sa propre activité consciente. A bien y réfléchir, voilà qui, paradoxalement, m’inquiète.

 

Effectivement, la France a déjà à sa tête un président qui arbore fièrement son costume bleu Marine, blanc gaulois et rouge vinasse, qui drague ouvertement l’électorat lobotomisé d’une autre belle blonde, légèrement plus vindicative que celui de la verte bobo, et qui prévoit de nettoyer cette France que lui ne quittera pas à grand coup de karcher histoire de désincruster la vermine qui n’aime pas son pays (d’adoption ?). La hargne étant inversement proportionnelle à la taille, Sarkocoricco n’a pas besoin d’adjuvant.

 

En revanche, la France a sérieusement besoin d’un coup de fouet en plein sur les valeurs citoyennes, afin de les faire sortir de leur torpeur. C’est à tort que la France a peur, peur à en devenir ridicule, peur à en oublier que ce qui a fait ce pays ce sont les rencontres et les mélanges. Trois façades maritimes, 6 voisins, une langue latine et on attaque une Française parce qu’elle est née dans un pays où les gens sont plus blonds?

 

Les français marchent sur la tête au point d’en devenir risibles. N’importe quel individu saint d’esprit de droite comme de gauche se serait insurgé à la seconde même où la violence des propos de Matignon aurait atteint ses tympans. Au lieu de cela, on voit la classe politique s’élever contre la proposition, maladroite certes, d’Eva Joly, au point qu’elles doivent justifier de sa nationalité française et de sa connaissance de la culture de ce pays qu’elle a largement contribué à assainir durant les années 1990.

 

Et dire que ce sont ceux qui se félicitent de la présence d’Obama à la maison blanche qui sont à l’origine de la perte des valeurs fondamentales de la Vème république, pourtant si chère à leur cœur. J’en perds mon arabe.

 

 

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